Le Courrier du coeur du magazine Elle

Publié le par Multiples talents

Magazine Elle 1947 - Photo : Hprints.com - Livre : Marcelle Ségal - Mon métier : le courrier du coeur - lien pour obtenir l'ouvrage : http://amzn.to/2qA4AL9Magazine Elle 1947 - Photo : Hprints.com - Livre : Marcelle Ségal - Mon métier : le courrier du coeur - lien pour obtenir l'ouvrage : http://amzn.to/2qA4AL9

Magazine Elle 1947 - Photo : Hprints.com - Livre : Marcelle Ségal - Mon métier : le courrier du coeur - lien pour obtenir l'ouvrage : http://amzn.to/2qA4AL9

L'hebdomadaire féminin "Elle" lançait, en 1947, "Le Courrier du coeur", qui évoque irrésistiblement le nom de sa grande prêtresse, Marcelle Ségal.

Le temps nous semble loin où une épistolière de service croulant sous des montagnes de courrier se penchait avec bienveillance sur nos petits secrets. On l'imagine reléguée dans un bureau un peu poussiéreux, à la lumière d'une lampe articulée vintage, et ingurgitant force café, pour se remettre de lourdes tranches de vie jetées sur le papier comme autant de bouteilles à la mer. Aujourd'hui, on confie plus volontiers nos peines et nos incertitudes à notre i-phone ou sur les réseaux sociaux style facebook.

Fruit de la passion

Mais dans les années 1950-1960, la responsable du courrier du coeur, mi-psychologue, mi-confesseur, est une femme de bon sens qui prend très au sérieux les soucis du quotidien, notamment sentimentaux. Dans un numéro de juin 1959, une lectrice signe du pseudonyme "d'entre-deux" : "J'ai beaucoup d'admiration pour Jean-Marie, mais il a mauvais caractère. Jacques a dix-neuf ans comme moi, et plus de valeur morale que Jean-Marie. Tous deux veulent m'épouser. Quelque chose m'empêche de choisir. Que faire ?" Réponse de Marcelle Ségal : "Ne choisissez pas. A 19 ans, rien ne presse. Laissez faire le mauvais caractère de l'un, la gentillesse de l'autre. Votre réponse tombera toute seule, comme un fruit mûr. "

photo : reproduction d'un exemplaire du Journal des Demoiselles. Disponible ici 

Longs courriers

Dès la fin du XIXe siècle, dans le Journal des Demoiselles , Emmeline Raymond enseignait à ses semblables les vertus d'une vie bien corsetée. La femme chez elle , de 1913, proposait un "Petit courrier" si apprécié qu'il fallut le restreindre aux seules abonnées. Après la Grande Guerre, une floraison de magazines répondit à l'émancipation de lectrices ayant remplacé au travail les hommes partis au front. En 1933, La coquette - un million d'exemplaires mensuels -, mettait à disposition "La boîte aux lettres de cousine Ginette", pour évoquer petites et grandes peines. En 1937, Marie-Claire instaurait un "Parlons entre amies " , où les lectrices échangeaient recettes de beauté et adresses indispensables, souvent relayées par des plumes célèbres comme Colette ou Germaine Baumont.

De guerre lasse

Le courrier des lectrices tarit avec la guerre, pour reprendre du plus belle lorsqu'il fut possible de se procurer du papier et de publier des journaux. Le Jardin des Modes , Femmes d'aujourd'hui , Chez nous et autres Madrigal démêlaient de leur mieux problèmes cruciaux et craintes adolescentes. Les sujets récurrents touchaient au mariage, qu'il était alors peu recommandé de rompre, et au souci de plaire. Dans L'écho de la Mode des années 1950-1960, c'est Berthe Bernage qui s'y colle, incontournable conseillère des bonnes manières. Cependant, le "ton" du "Courrier du coeur" est moins compassé. 1953 : "Je vous écris parce que je m'aperçois que je grossis de plus en plus du postérieur" Réponse de Marcelle Ségal : " Le postérieur n'est pas de ma compétence. Je m'occupe du coeur."

Photo : Marcelle Ségal - PressReader.com

Mal au coeur

Cette ancienne résistante remet promptement les écervelées à leur place, mais se penche avec compassion sur les cas les plus dramatiques. Noël 1952. M.S : "Madame Ségal, dites à vos lectrices que toutes ces petits choses qui les désespèrent ne sont pas des problèmes. Mariée à dix-huit ans, dix-huit mois de bonheur, mon mari tué dans un accident de la route. Mon petit garçon, Alain, atteint de cancer des yeux...Quand, blottis tous deux dans le grand fauteuil de cuir, il me passe ses menottes sur le visage en disant 'Pourquoi tu pleures ?', j'ai peur quelquefois, de perdre la raison." "En lisant votre lettre, répond Marcelle Ségal, il n'est pas une de nous qui pourra s'empêcher de pleurer. Toutes, nous voudrions souffrir d'avantage afin que vous souffriez moins... Le royaume de la nuit a ses richesses. Lorsqu'Alain sera sur vos genoux, chantez-lui une chanson, il la chantera avec vous. Ou bien, laissez chanter Mozart, Schubert ou Haydn ... Ecrivez-nous. Nous sommes vos amies."

Photo : Mozart - Ses Chefs-d'oeuvre

Coeur à prendre

Les hommes ne sont pas exclus de ces échanges épistolaires :

"Un garçon se montre un peu trop galant ? On le taxe de libertinage. Il se contente d’être correct ? On le traite d’en…nuyeux. Quel est le moyen pratique de se connaître assez pour envisager une union ? Dès les présentations, déclarer : 'J’ai 22 ans, je gagne 50 000 francs par mois, voulez-vous m’épouser ?'Non, mesdemoiselles, n’exigez pas que votre seule vue donne à un garçon l’envie de vous épouser. Laissez-nous choisir, et employer des moyens qui ont cours depuis la nuit des temps, sans prendre des airs outragés." Signé : Cyrano. Réponse de Marcelle Ségal : "Vous parlez d’or, Cyrano. Le tout est de s’entendre sur ce qu’est le flirt. De le délimiter. Neuf conflits sur dix sont précisément des … incidents de frontière. "

Photo : le mariage, la grande affaire de beaucoup d'abonnées au Courrier du Coeur. Robe de mariée Eyekepper

A coeur vaillant...

En 1968, à soixante-douze ans, Marcelle Ségal souhaite démissionner. Mais Hélène Lazareff, patronne de Elle , ne veut pas se séparer de cette institution. Marcelle Ségal ne plaide pas toujours pour les nouvelles libertés féminines, mais à l'instar de sa consoeur Ménie Grégoire officiant sur RTL, elle garde son franc parler et défend de son mieux ce qu'elle pense être l'intérêt des femmes qui, malgré les améliorations, se sentent souvent incomprises et isolées. En 1987, Marcelle Ségal prend sa retraite, et le "Courrier du coeur" devient "Elle aime vos lettres", sous la plume de Danielle Garnier. Marcelle Ségal s'est éteinte le 29 décembre 1998, à l'âge de 102 ans.

 

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