Envie de jardin !

Une publicité des années 90 le proclamait glorieusement : "C'est moi qui l'ai fait !" Contre le stress, le vague à l'âme, le blues du businessman, rien de tel que de plonger les mains dans le terreau et d'attendre ensuite l'heureux événement ... Mais comment l'esprit d'entreprise vient-il aux jardiniers en herbe ?

Amicales pensées

Des statistiques ont démontré que le déclic se produit souvent dans les embouteillages, lorsque le premier soleil réchauffe l'habitacle et que des effluves printaniers bravant les gaz d'échappement, pénètrent par la vitre abaissée.

Las de vibrer au tempo de la voiture qui précède, ou d'observer avec malveillance votre voisin de bouchon récurant ses fosses nasales d'un index convaincu, vous tournez vos regards vers le seul tableau acceptable : sur le trottoir voisin, des pensées jaunes et mauves plantées dans un bac en béton affrontent la pollution du trafic, d'une floraison obstinée. Tel un artiste méconnu se produit en conscience devant un public distrait.

A votre grande surprise, reléguant au second plan les soucis d'intendance qui ne manqueront pas de vous assaillir lorsque vous pousserez la porte du logis, vous compatissez pour ces frêles fleurettes, lustrées et chatoyantes comme un velours de soie. Et vous voilà subjugué par les tendres corolles, comme devant une toile de maître. Une idée s'insinue dans votre méditation : si ces entités courageuses résistent au monoxyde de carbone, elles survivront sans doute aucun à votre incompétence en fait de plantations. Vous en êtes à choisir la couleur des prochaines élues, lorsqu'un klaxon rageur vous arrache à votre félicité.

Au jardin de la vie

Depuis votre cuisine, une fois posée la question rituelle et existentielle : « qu'est-ce qu'on mange, ce soir ? », vous contemplez votre balcon désespérément dénué de pensées jaunes et mauves. Touillant le brouet de la couvée affamée, les reins ceints d'un tablier, vous vous remémorez alors des images que vous pensiez défuntes, et vous vous surprenez à fredonner ces quelques notes, « au jardin de la vie ... », que chantonnait votre mère, rempotant des fleurs magnifiques aux beaux noms compliqués : escholtzia, passiflore, potentille, arum, tamaris, amaryllis. Vous les lui faisiez répéter, ces mots, indéfiniment, pour le secret plaisir d'entendre la voix mélodieuse égrenant ces formules magiques. Tout vous revient : le parfum de ses cheveux brillants voletant sous le chapeau de paille, lorsqu'elle se penchait pour vous montrer les premières violettes incroyablement odorantes, le vin coupé d'eau que votre grand- père vous servait, sous la treille tutélaire du jardin ouvrier .

 

Photo : kit jardinage pour les enfants - Oxybul.com

C'est drôle la mémoire : elle vous restitue intacts l'odeur du terreau, le tintement du râteau contre les pierres du massif, le sifflement du merle ébouriffé dans les forsythias parant d'un or précoce cabanes et potagers. Et ces conciliabules interminables des grandes personnes, sur l'opportunité de planter tel ou tel légume, tel ou tel massif, secrets colloques entrecoupés de formules incantatoires : « Taille tôt, taille tard, rien ne vaut la taille de Mars », « Un binage vaut deux arrosages », « Tonnerre d'Avril, prépare tes barils », qui vous ouvraient les portes d'un monde adulte, soucieux de nourrir et préserver la santé de la précieuse cellule familiale.

Plantation, ton univers impitoyable !

Vous avez mal dormi : ayant vainement fouillé tout le garage à la recherche d'anciens numéros de Rustica ou du Chasseur Français, vous êtes tombé en extase devant trois tomes de l'Almanach Vermot, rapportés au salon comme un trophée. Vous les avez compulsés jusqu'à une heure avancée de la nuit, troublé par ce constat : les prédateurs sont partout dans la nature ! Vous vous en doutiez, mais la sagesse populaire vous le fait toucher d'un doigt noirci de terre. Gare aux limaces, doryphores, et autres cochenilles ! Il faut compter aussi avec les éléments : gel, pluie, grêle, foudre ! Même la lune, qui décide des marées, - et des accouchements, dit-on -, se mêlerait de la poussée d'un micro-plan de jeunes carottes !

Et vous regardez à présent avec une considération accrue les quelques navets, tomates et aubergines dépourvus de pesticides dont vous avez fait emplette à la boutique bio du quartier. Le réfrigérateur n'est-il pas trop froid ? Ne va-t-il pas flétrir votre précieuse provende ? Décidément, cultiver et engranger n'est pas rien !

Le bonheur est au jardin !

Demain, direction la jardinerie ! Il se trouvera certainement quelque garçon dévoué pour vous montrer comment parer votre balcon à moindre frais et sans danger pour la sécurité du voisinage, et vous entretenir de l'hypothétique culture balconnière du pissenlit. ( Délicieux avec des lardons ! ) Et sur le Web , il ne manque pas d'inépuisables bonnes volontés rompues aux sévères contingences d'un jardinet réussi ! A vous les radis sans engrais, et les œillets mignardises empruntant à la seule nature leur pastel et leur parfum !

Un bonheur ne venant jamais seul, vous avez redécouvert dans votre bibliothèque, un précieux ouvrage offert par vos parents, lors d'un voyage en Ardèche, à Villeneuve-de-Berg, bourg natal d' Olivier de Serres , le célèbre agronome : le « Théâtre d'agriculture et ménage des champs ». Publié en 1600, cet opus savamment illustré regorge de secrets pour travailler la terre avec respect.Dans quelques semaines, lorsque vous regagnerez vos pénates après une journée de dur labeur, vous lèverez un regard reconnaissant et flatté vers votre balcon enluminé, votre jardin suspendu de Babylone créé de vos propres mains, votre merveille du monde que vous ne devrez qu'à votre opiniâtreté.

Et qui sait, un jour, peut-être, posséderez-vous votre propre lopin de terre, sur lequel se pencheront bienveillantes, pour vous aider à cultiver toujours plus judicieusement votre « petite planète », les ombres du passé.